Une chaire de recherche partenariale qui a grandi avec l’UPPA

Une chaire de recherche partenariale qui a grandi avec l’UPPA


Cet article, écrit par Louis-Frédéric Decam, a été initialement publié le 15/11/2023 sur le site de l'institut Carnot ISIFoR. Il est reproduit ici avec l'autorisation de l'auteur.

Cette interview revient sur la mise en place et met en lumière les fruits d'un partenariat de recherche public-privé de longue haleine à l'Université de Pau et des Pays de l'Adour, la chaire Géostructures portée par Jean-Paul Callot pendant 10 ans.


 

Entretien avec Jean-Paul Callot* au sujet de la chaire de géologie structurale et géologie d’exploration de l’UPPA

 


Discussion avec des collègues australiens, durant un travail de terrain dans la chaine des Flinders, Australie (crédit J.-C. Ringenbach)

La chaire de géologie structurale et géologie d’exploration attribuée en 2011 à Jean-Paul Callot a connu une riche existence au cours de ses 10 années d’activité. En témoignent 10 thèses soutenues, 38 articles scientifiques, plus de 120 communications dans des congrès, 8 voyages d’études et le prix de la thèse SGF (Société Géologique de France). Ce bilan est impressionnant  mais l’installation de cette chaire au sein de l’UPPA va plus loin qu’une simple série de chiffres car elle a accompagné les chercheurs, les étudiants et a aussi posé des bases et des manières de fonctionner qui jusqu’alors n’existaient pas au sein de l’UPPA. C’est enfin une chaire qui a évolué avec son époque : à l’origine préoccupée par les systèmes pétroliers et la caractérisation des réservoirs, elle s’est tournée progressivement vers la compréhension des stockages et leur monitoring.

Aujourd’hui découvrons comment est née cette chaire partenariale financée par Total entre 2011 et 2021, quelles étaient ses ambitions et comment elle a été pilotée. Nous verrons également de quelle manière cette chaire a permis d’expérimenter des modes d’organisation de la recherche qui perdurent à l’UPPA. Nous terminerons cet échange en considérant son « legs » dans les travaux actuels du Laboratoire des Fluides Complexes et leurs Réservoirs (le laboratoire où la chaire Géologie a été hébergée).

[ISIFoR] Quelles sont les mânes qui ont présidé à la naissance de cette chaire partenariale ?

[Jean-Paul Callot] C’est une histoire humaine et une histoire de moments. L’année qui a suivi l’obtention de ma thèse (en 2002), je suis entré à l’IFP (Institut Français du Pétrole) où j’ai travaillé sur la géologie pétrolière en m’intéressant notamment aux questions salifères dans un axe plutôt industriel. Cet intérêt, ainsi que des travaux sur les chaines de montagne m’ont octroyé une écoute bienveillante de la part des collègues de Total. La thématique leur parlait car elle pouvait trouver des échos dans le domaine pétrolier. Nous avons noué, en particulier avec Jean-Claude Ringenbach (alors expert en géologie structurale chez Total), un dialogue au long cours dès ces premières années (2005-2006). J’arrivais, à cette époque, au bout de ce que je pouvais faire à l’IFP qui se transformait alors en EPIC (Établissement Public Industriel et Commercial) et je souhaitais continuer à travailler sur des problématiques académiques. Après avoir soutenu mon HDR au pas de charge, j’ai cherché un poste de professeur dans une université et il y en avait un à l’UPPA. Tout en postulant sur celui-ci je continuais à discuter avec Jean-Claude Ringenbach or il s’avérait que Total était partant pour financer une chaire partenariale, sur des thématiques que je souhaitais développer, dans l’éventualité où je serais retenu sur le poste de Pau. Ces mois furent un peu fous mais les planètes ont fini par s’aligner et j’ai pu entrer à l’UPPA avec ce projet de chaire qui devait démarrer quelques mois plus tard. Dans le même temps, grâce à des discussions avec des collègues de la Sorbonne, le cas d’étude du bassin de Sivas en Turquie nous est apparu, à la manière d’un don : le plus bel analogue de terrain de nos problématiques, quasi inconnu et vierge de travaux scientifiques ! un moment intense.

La naissance de la chaire partenariale a donc été le fruit d’une spécialisation académique de ma part, de l’écoute d’un industriel sur des sujets qui l’intéressaient, d’une université disposée à m’accueillir et d’un coup de pouce du destin… presque improbable, mais c’est ce qui s’est passé. C’est également à ce même moment que le Carnot ISIFoR est né à Pau. Cet institut a pu mener l’instruction de ce projet de chaire avec l’UPPA et Total et accompagner l’intégration de celle-ci dans notre université.

[ISIFoR] En 2011 la chaire est officiellement créée ; comment les axes d’études et les objectifs de cette dernière ont-ils été définis ?

Crête du bassin d’Emirhan
Crête du bassin d’Emirhan, mini bassin Miocène déposé dans le sel du bassin de Sivas en Turquie et basculée par le fluage du sel (Thèse de C. Ribes, 2015, crédit J.-C. Ringenbach)

[Jean-Paul Callot] Aujourd’hui, si je porte mon regard en arrière, il semble que les choses étaient parfaitement calibrées et organisées, mais en réalité il n’en était rien. Bon, à vrai dire ce n’est pas totalement vrai, on avait de grandes lignes pour nous guider, mais ce que je veux ici rappeler c’est que l’on avançait au fil de l’eau. On essayait d’impliquer le plus de chercheurs possible, les premiers doctorants ont eu des résultats prometteurs ce qui a ouvert des pistes de recherche pour la suite. Les sujets d’études ont aussi évolué : de la tectonique salifère aux fracturations, à la tectonique argileuse en passant par le transport réactif ou la diagenèse, et ce en phase avec l’arrivée de nouveaux talents à l’UPPA.

À chaque démarrage de cycle de la chaire (en 2011 et en 2016) nous parlions de nos envies communes avec Jean-Claude, cela permettait de détacher 2 ou 3 projets à mener, le reste venait sur l’ouvrage. Il faut que le porteur de la chaire et son alter ego en entreprise aient un dialogue fructueux pour que cela fonctionne. Chaque personne du binôme doit également être en mesure de défendre et de pousser les projets communs au sein de sa structure afin que les choses avancent et que le travail soit intéressant pour tout le monde.

C’était passionnant ! Un travail d’une grande richesse et aussi d’une grande intensité ! Il fallait suivre beaucoup de travaux de recherche en parallèle, les publications qui en résultaient, organiser des voyages d’études tout cela en plus des cours à assurer à l’université. Mais c’était aussi un travail d’équipe, qui a permis de réaliser ensemble un beau projet je pense, qui m’a permis de nouer de nombreuses relations au-delà de la science.

[ISIFoR] Le cadre de la chaire a été celui d’expérimentations qui ont trouvé un écho dans l’UPPA, c’est bien cela ?

Le vélodrome de Digne-les-Bains, un mini bassin sur glacier de sel
Le vélodrome de Digne-les-Bains, un mini bassin sur glacier de sel au front des Alpes (thèse de N. Célilni, 2019, crédit J.-P. Callot)

[Jean-Paul Callot] Oui car elle nous a permis d’accompagner des mouvements plus larges qui traversaient alors la recherche en France. Depuis la fin des années 1990 la « tendance » était d’aller vers des laboratoires de taille importante afin de leur faire gagner en visibilité nationalement et au-delà. Notre labo était une UMR CNRS de physique (LFC) à laquelle est venu s’ajouter une UMR de géosciences (MIGP), c’est ce qui a donné le LFCR. C’était aussi une idée qu’a défendu monsieur Mohamed Amara (qui dirigeait alors l’UPPA) : rassembler des disciplines différentes pour créer quelque chose de nouveau, une recherche innovante. Ces deux champs de recherche au sein du LFCR et la présence d’un grand industriel, entre autres via la chaire partenariale, a conduit à quelque chose de très intéressant.

La surcharge de travail induite par l’arrivée de la chaire a aussi permis d’expérimenter tous les types de décharges d’enseignement possibles. Dans le même temps le pari était pris que les enseignants-chercheurs qui partaient en détachement ne seraient pas remplacés rapidement, donc il fallait recruter. Ce sont des points d’organisation mais ils sont fondamentaux pour que la continuité d’enseignement de l’établissement se passe bien et que la politique de recherche induite, entre autres par la chaire, puisse prendre toute son ampleur et accompagner les carrières des collègues. Tout cela nécessite un bon dialogue dans l’université qui accueille la chaire sinon on peut manquer la chance que représente un tel partenariat public-privé.

[ISIFoR] Aujourd’hui comment peut-on considérer cette expérience de chaire partenariale?

[Jean-Paul Callot] C’est d’abord un moment particulier, un moment où les conditions sont réunies pour qu’un financement privé de recherches académiques soit possible. Cela n’est pas si fréquent sur une telle durée. Par ailleurs, c’est important pour l’établissement qui l’accueille car cela fortifie et développe la politique de recherche qu’il poursuit.

Aujourd’hui la spécialisation que l’on a acquise sur le sous-sol avec cette chaire nous permet d’aller vers des projets en lien avec la transition énergétique dans laquelle l’UPPA est particulièrement impliquée (voir le projet E2S). On peut, par exemple, se servir de cette expérience pour travailler avec des miniers vers de nouvelles manières d’extraire ou travailler à la compréhension des stockages, à leur monitoring et bien d’autres choses encore.

La chaire partenariale avec Total a donc été un moment particulièrement fructueux pour notre travail académique et elle a donné beaucoup de résultats. Elle a aussi fourni une base stable pour développer des axes de recherches et des recrutements.

Peut-être qu’aujourd’hui ce type de chaire n’est plus la structuration opportune et qu’elle était adaptée à une période donnée. Aujourd’hui je crois beaucoup aux laboratoires communs montés entre des acteurs de la recherche académique et des partenaires privés : PME, ETI et même des start-ups. Ils offrent un bon cadre : temporel, de définition de sujets d’études et de marges d’actions. Je pense qu’ils sont adaptés à l’époque actuelle et qu’ils créent un environnement très bénéfique pour toutes les parties prenantes.

Salar d'Atacama
Le salar d’Atacama, bassin endoreique de l’altiplano argentin. Ce bassin est le lieu de dépôt actuel de couches de roches évamoritiques (tels que celles mobilisés dans le bassin de Sivas) et zone d’enrichissement en lithium. Postdoc de M. Branellec, 2021, crédit J.-P. Callot)

* Professeur des universités à l’UPPA, directeur du LFCR (UMR 5150)